(Deuxième partie)
Le lecteur averti ne serait pas surpris de cette attitude de rejet catégorique du Coran, dont le genre poétique païen fait l’objet. Déjà avant plusieurs siècles, Platon a éjecté de sa cité idéale les poètes. Il est évident que ce bannissement de la poésie et des poètes par Platon n’est pas dicté par les mêmes raisons que le Coran. En effet l’art poétique pour Platon est un art du « simulacre ». La poésie, selon le philosophe grec, est une imitation trompeuse de l’objet. Elle n’atteint jamais la vérité. N’étant qu’un art d’ornement, la poésie décadente inspire la faiblesse à l’âme humaine. Il faut préciser également que l’objectif visé par Platon dans la mise au banc de la poésie est la restauration du règne et de l’autorité de la raison, bien qu’il ne soit pas évident que le rejet platonicien de la fantaisie poétique est suffisant pour que la raison règne en maîtresse absolue sur la totalité de l’espace épistémique humain. Même si c’était le cas, ce serait un objectif bien limité, bien fragmentaire. S’ajoute à cela un fait d’une importance capitale : c’est que la restauration de l’autorité et du règne de la raison peut produire des effets malencontreux , voire même catastrophiques non seulement pour l’homme lui-même, mais aussi pour son environnement, « la dialectique de la raison » en est l’illustration la plus parfaite. Il est hors de question de se plier à toute sorte d’assertion, chaque fois que la raison y est évoquée. La raison conçue isolément des valeurs éthiques, de l’idée d’équilibre et du principe de bonheur, peut s’avérer destructrice. La dialectique de la raison résulte d’un long processus annoncé par l’Odysséed’Homère, et amorcée par La Renaissance et aboutit à cette maudite rationalité technologique qui a réduit l’homme à la servitude et à l’aliénation qui ont largement dégradé la vie et l’environnement à tel point que la vie est hypothéquée plus que jamais, alors qu’au début de ce processus de rationalisation de la vie l’optimisme était partout de mise. Le processus ayant abouti à ce phénomène, est amplement décrit par Rousseau et notamment par Adorno et Horkheimer dans leur best seller, La Dialectique de l’Aufklarung.
Le Coran dans sa logique interne va bien au-delà de ces limites. Le bannissement de l’art poétique païen est l’aboutissement de la lutte contre la débauche, l’agressivité, le banditisme trans-saharien et le tribalisme dans la Péninsule arabique.
Il ne peut pas y avoir de commune mesure non plus sur ce point où précisément le rejet n’est pas l’élément déterminant dans la situation antithétique. Des sujets opposés peuvent rejeter le même objet négatif, mais les raisons n’étant pas identiques, aucune commune mesure ne rattache les diverses positions les unes aux autres.
S’agissant des similitudes formelles, il faut absolument être circonspect. Selon l’éminent helléniste britannique, Jonathan Barnes, des philosophes présocratiques ont séjourné en Egypte et ailleurs au Proche-Orient, et sont revenus en Grèce avec de la philosophie. Il est bien possible de supposer qu’il y ait un contact intellectuel direct entre les grecs d’une part et leurs voisins du Moyen-Orient d’autre part. Mais, selon cet auteur, il est difficile de trouver un seul cas d’influence évident. Barnes, dans son ouvrage intitulé: Early Greek Philosophy, va plus loin, en écrivant: « It should be said that where some scholars see striking parallels between a Greek and an eastern text, others see no more than superficial coincidence ». (Il serait affirmé que là où des spécialistes perçoivent un parallélisme frappant entre un texte grec et un texte oriental, d’autres ne voient plus qu’une coïncidence superficielle).
Reste donc infondée, même sur le plan purement théorique, l’assertion selon laquelle un texte coranique serait une copie d’un texte grec retrouvé en Egypte ou en un autre endroit du Moyen-Orient. Seule une déduction hâtive en besogne, basée sur des prémisses et des postulats faux au départ, puisse affirmer une idée incohérente pareille. Si l’idée de conformité accidentelle est improbable même entre différents textes profanes, alors comment envisager l’idée absurde de parallélisme possible entre deux corpus liturgiques appartenant, chacun de son coté, à deux registres que toute composante oppose diamétralement, l’un étant abrahamique et monothéiste d’une part, l’autre étant païen et polythéiste de l’autre ?.
(à suivre)
Babacar Diop